L’Essonne : l’historique du département

 

Ecrire une histoire de l’Essonne relève un peu de la gageure. Si l’on s’en tient à l’énoncé stricto sensu « Histoire de l’Essonne », on aura à raconter les aventures d’un département âgé seulement de 25 ans. Ce n’est en effet qu’en 1964, lors- que l’Ile-de-France est découpée en huit départements, que l’ancienne Seine-et-Oise issue de la Révolution donne naissance à l’Essonne en lui confiant une partie du Gâtinais, de la Brie française et de la Beauce, et surtout le Hurepoix, pays qui s’étend jusqu’aux forêts de l’Orléanais. A la vérité, l’histoire de l’Essonne se confond avec celle de l’Ile-de-France. Elle en partage les péripéties depuis la nuit des temps. Comme nous allons le découvrir, cette région a vu arriver très tôt les premiers hommes. Le paysage de ces temps préhistoriques n’a rien de commun avec celui que l’on connaît aujourd’hui. Les variations du climat ne permettent pas aux rivières de se fixer. Tantôt elles s’enfoncent dans leur lit, tantôt elles débordent inexorablement, charriant des alluvions en masse. La Seine n’épousera son cours définitif que vers 50.000 ans avant J.C.

 

Les premières traces de peuplement de l’Ile-de-France nous ramènent 500.000 ans avant J.C. C’est l’époque baptisée Paléolithique qui durera plus de quatre cents millénaires. A Verrières, on a découvert 147 bifaces de la période acheuléenne, au Paléolithique inférieur. Cette période s’est caractérisée par un progrès considérable dans la taille des outils. Les bifaces ne sont plus obtenus par l’entrechoquement de deux blocs, mais sont taillés au gourdin ou grâce à des percuteurs de bois ou d’os. De l’homme de Néanderthal qui vécut entre 160.000 et 40.000 ans avant J.C., au Paléolithique moyen, il ne nous reste que peu de choses si ce n’est quelques outils de la période « moustérienne » de plus en plus évolués. Le fil est renoué au Paléolithique supérieur, entre le quarantième et le dixième millénaire avant notre ère, et principalement en fin de période, au magdalénien. C’est l’émergence de l’Homo Sapiens, notre ancêtre le plus direct. On a retrouvé en Ile-de-France des témoignages de cette époque où les hommes vivaient surtout au fond des vallées ou sur leurs versants, aux confluents, près des gués où passent les troupeaux.

 

Etrèchy et Ballancourt-sur-Essonne sont particulièrement riches en vestiges. Mais ce sont aux fouilles entreprises à Etiolles, au sud de la forêt de Sénart, en 1974. que l’on doit le plus d’indications sur l’homme du magdalénien. Il y fut découvert un fond de cabane de six mètres de diamètre, entouré de 38 dalles calcaires. Au centre était un foyer comme l’indiquent les pier- res noircies retrouvées là. Près de 80 outils dont un tiers de burins, ainsi qu’un amas d’éclats de débitage et de lourds nucleus permettent d’imaginer qu’il s’agissait d’un atelier de taille. Autant d’éléments qui nous renseignent sur le mode de vie de ce chasseur de rennes, vivant sous des tentes de peaux, qui occupait cette partie de l’Ile-de-France. Vint ensuite le Néolithique. L’homme évolue de plus en plus vite et peuple en grand nombre le territoire couvert par l’Essonne aujourd’hui. Le cours de la Seine, plus rectiligne à cet endroit, permet une circulation plus aisée.

 

En atteste le nombre impressionnant de haches polies, de meules, de lames, de burins et de couteaux, retrouvés sur les sites de Juvisy, Grigny, Ris-Orangis, Evry, ou Corbeil. Les habitants deviennent aussi plus sédentaires. C’est la période des Ligures.

 

Nous sommes en 2.500 avant J.C. lorsqu’advient l’âge des métaux. De nouveaux peuples apportent leurs techniques, essentiellement, aux premiers temps, la métallurgie du cuivre. Les mélanges de population donnent naissance à une civilisation nouvelle dont la caractéristique sera la construction de mégalithes. Des menhirs se dressent encore en certains endroits de l’Essonne : la Pierre à Mousseaux à Vigneux, le Gros grès à Brunoy, la Roche qui tourne de Lardy, et d’autres à Itteville, Bruyère, ou Prunay.

 

Suit l’âge du bronze, entre 1.800 et 700 avant J.C. Le Pas-de-Grigny, en aval de Ris-Orangis, nous en a laissé quatre épées, trois poignards et quatre haches.

 

En 700 avant J.C. apparaît un peuple plus évolué. Ce sont les Celtes. Ils répandent dans la région leur technique de la métallurgie du fer. Le deuxième âge du fer, à partir de 450 avant J.C. nous apporta la civilisation gauloise. Ce sont d’abord les Senons, venus d’Europe centrale, qui contrôlent la vallée de la Seine au Sud de Paris. La période qui suit est relativement paisible. Les Parisii, qui fonderont Lutèce, commercent entre autres avec les Senons et les Carnutes, au Sud de Paris. Ces mêmes peuples, avec les Trévistes, seront les plus farouches résistants face à l’invasion romaine des armées de César, à partir de 58 avant J.C.

 

Les batailles seront terribles. La région qui nous préoccupent verra le vieux chef Camulogène arrêter les quatre légions du lieutenant de César, Labienus. En vain. Bientôt Lutèce ne sera plus qu’un tas de cendres et la civilisation gallo-romaine pourra croître et prospérer.

 

Après s’être imposée par le sang, elle assurera une paix de trois siècles. Les grands domaines se constituent, les terres sont exploitées, les voies de communication et le commerce se développent. Des forteresses sont aussi bâties en bordure des routes pour les protéger. Châtres, qui deviendra Arpajon, commande la route de Genabum (Orléans), le futur Viry-Châtillo celle de Sens. Le IIIe siècle après J.C. voit à la fois le débuts timides du Christianisme dans la région, et le déferlement de hordes barbares venues de Germanie, les Wisigoths, Ostrogoths, Allamans et autres Vandales. Une accalmie se fait sentir dans la deuxième moitié du IVe siècle, mais les invasions reprennent de plus belle dès le début du Ve siècle. Les quelques villes fortifiées recueillent les populations effrayées et les prédicateurs en profitent pour poursuivre leur mission d’évangélisation. Non sans mal, d’ailleurs. Saint Yon, par exemple, subira le martyre à Châtre.

 

La menace la plus terrible viendra vers 451 avec l’arrivée des Huns commandés par le très fameux Attila. Mais les populations d’Ile-de-France, à l’image de Sainte Geneviève défendant Paris, résisteront et bouteront les Huns et les autres hors de leur territoire. Plus patients et plus soucieux de s’intégrer au monde gallo-romain qu’ils admiraient. sont les Francs, et ce malgré leurs instincts guerriers. A mesure que l’empire romain perd de son influence en Gaule pour ne plus posséder bientôt qu’un dernier bastion précisément dans le Bassin parisien, sous la férule de Syagrius, les Francs vont pousser leur avantage. A partir de 481, l’adversaire principal de Syagrius est un jeune Franc de 16 ans à peine. Il s’appelle Clovis. Il vaincra en 486 et le royaume des Francs commencera à s’étendre. Sa conversion en 496 donnera un coup de fouet au christianisme. Le VIe siècle verra ainsi la construction de grandes abbayes parisiennes, très puissantes. L’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, par exemple, possède à l’époque, à Palaiseau, un domaine seigneurial qui comprend 400 hectares de terre arable, 127 arpents de vigne, 100 arpents de pré, un bois « où l’on peut mener 50 porcs à la glandée », trois moulins et une église. Elle est aussi propriétaire d’une autre église à Gif.

 

Si les Francs ont été assez habiles pour s’imposer, ils vont vite dilapider leurs richesses. La civilisation mérovingienne va décliner assez rapidement. Les descendants de Clovis s’entredéchirant pour le contrôle du royaume. Dagobert réussira un temps à remettre la situation à l’endroit. Sous son règne sont édifiées les abbayes de Dourdan, d’Etampes et d’Epinay-sous-Sénart. Mais ce ne fut qu’une rémission et la dynastie mourra lentement pour laisser la place à celle de Charles, successeur en 768 de Pépin le Bref. Les Carolingiens restaurent une relative prospérité à Paris et dans sa région, même si Charlemagne choisit Aix pour capitale.

 

Ce renouveau sera mis à mal par l’arrivée des Normands en 845. Viols, pillages, incendies, mettent à feu et à sang tout le Bassin parisien. Dans ces événements, Charles III, dit Le Gros, se discrédite auprès de ses grands vassaux qui donnent la couronne à Robert le Fort. Les habitants se réfugient auprès de ces grands chefs de guerre qui s’emparent aussitôt de leurs terres abandonnées avant de les mettre à contribution. La féodalité prend son envol. Parallèlement, l’agriculture retrouve tout son éclat. On peut mesurer cet essor à l’aune des cépages du Sud parisien qui fournissent un vin réputé excellent à l’époque. Avec l’avènement des Capétiens, à la fin du Xe siècle, la région de l’Essonne actuelle voit s’élever nombre de châteauxforts et donjons. C’est le cas à Montlhéry, Méréville ou Etampes, notamment. Situées sur l’axe ancien tracé par les Romains, Paris-Orléans, ces forteresses jouent un rôle stratégique non négligeable. Elles sont même si puissantes que la tentation est grande pour leurs propriétaires de menacer le roi, comme le firent les révoltés de Montlhéry au XIe siècle.

 

Les Xe et XIe siècles se caractérisent par la construction des premières vraies églises, romanes puis gothiques, de monastères et d’abbayes. Citons l’abbaye de Morigny, de 1095, l’abbaye de Yerres, de 1122, et celle de Gif, de 1138. Les guerres qui émaillent le règne de Philippe-Auguste conduisent à l’érection de remparts autour de villes telles Dourdan ou Etampes. Louis IX, dit Saint Louis, fera revenir la paix, notamment en signant, au grand dam de ses barons, le Traité de Paris, en décembre 1259, rendant au roi d’Angleterre une partie des conquêtes de son grand-père Philippe-Auguste. Saint Louis prisait particulièrement la région qui accueille l’Essonne et la parcourait fréquemment à cheval, entre deux croisades. Il offrit même à sa mère, Blanche de Castille, le comté de Corbeil, Etampes et Dourdan. Ce XIIe siècle, à la faveur de la paix, connaît un développement économique très important. L’agglomération parisienne compte alors 200 000 âmes. Des techniques nouvelles accroissent le rendement des terres. Le collier d’épaule ou la herse, par exemple, tandis que se répand l’utilisation de la charrue à soc de fer. C’est aussi l’époque où les ailes des moulins à eau et à vent se mettent à tourner. Grâce à sa situation géographique idéale, Corbeil voit pousser plusieurs grands moulins sur son sol, assurant faste et prospérité. Les Parisiens pouvaient alors savourer le pain de Corbeil, transporté par bateau et boulangé avec du blé de Beauce moulu par les grands moulins après avoir transité par Etampes où il était stocké.